Lors du conseil municipal du 14 décembre 2020, le maire de Crest a évoqué la politique cyclable de la nouvelle mandature, en affirmant que « le développement du vélo n'a pas pour vocation d'emmerder les automobilistes », et de se référer à un texte paru dans le magazine Valeurs Actuelles en juin 2014 sous la plume de Camille Pascal : « La dictature à vélo ».

Dans ce billet d'humeur, l'auteur s'indigne d'avoir été « effleuré » et effrayé par un cycliste, alors qu'il flânait sur les quais de Seine. Des tremolos dans la plume, il se félicite d'être encore en vie pour nous narrer sa mésaventure et ironise sur le bobo ou l'étudiant Parisien, adeptes de la petite reine qui «..appartiennent à la même internationale puissante et redoutable, celle des gens responsables qui sauvent la planète en pédalant et qui ont donc, à ce titre, droit de vie et de mort » et d'en conclure : « Le vélo n’est plus un moyen de locomotion, il est désormais un signe identitaire, un choix politique. Hier il était un sport, aujourd’hui il incarne une idéologie totalitaire et en cela il est devenu très dangereux ».

Pourtant, si l'on se penche un peu plus sérieusement sur ce qu'est la réalité des mobilités douces en France, le procès en autoritarisme perd de sa pertinence, voire verse dans la malhonnêteté intellectuelle. Alors que l'auteur regrette que l'usage de la bicyclette déborde de la sphère sportive pour s'attaquer à nos rues et nos trottoirs, il est important de rappeler que la part modale du vélo dans les transports en France atteint difficilement 3%. Une dictature de la pédale qui fait pâle figure si on la compare aux Pays-bas ou à l'Allemagne qui frisent avec insolence les 30 % et 10%. Mais le bilan des idéologies totalitaires est, hélas, souvent a verser au nombre de victimes qu'elles engendrent. En 2019, l'observatoire national interministériel de la sécurité routière déplorait 9 victimes d'accidents impliquant des vélos. A titre comparatif, 1 173 personnes sont mortes dans des accidents impliquant des automobiles ou des véhicules utilitaires cette même année en France. Dans la Drôme, c'est 21 décès dans des accidents impliquant des automobilistes, 2 impliquant des cyclistes. Un décompte morbide qui ne prend pas en compte les 6 400 décès prématurés dus à la pollution causée par l'exposition aux particules fines et à l'ozone générée par les transports motorisés.

Ce n'est pourtant pas ce bilan qu'a retenu le plumitif de Valeurs Actuelles, préférant fantasmer sur une internationale cyclistes qui poursuit, jusque sur son trottoir, le piéton Parisien de sa rage meurtrière. Préférant dénoncer, jusqu'à la caricature, un conflit d'usages, il feint d'ignorer qu'il est la conséquence d'un manque de politiques cyclables courageuses et efficaces dont souffrent nos villes. Depuis la résurgence d'un usage urbain et quotidien du vélo, les institutions peinent à lui faire une place. Préférant renvoyer les cyclistes sur les trottoirs, ou les passerelles, qu'ils devront partager avec les piétons, les terrasses et le mobilier urbain, elles rechignent toujours a prendre de l'espace aux automobiles, choisissant plutôt de sacrifier leurs sécurité au profit de quelques places de stationnements.

En effet, contrairement a ce que peuvent affirmer certains, le développement d'aménagements spécifiques et sécurisés pour les mobilités douces ne peuvent se faire qu'au détriment de la place de la voiture dans nos rues. Non pas par idéologie, par mépris ou par haine, comme le prétend Camille Pascal, mais bien parce que nos villes sont engorgées du trafic automobile. Vouloir prétendre mener une politique ambitieuse en faveur des mobilités actives, sans limiter l'emprise de l'automobile sur le tissu urbain relève aux mieux de l'ignorance, au pire de l'hypocrisie. Plus une place, plus une rue, plus aucun espace urbain ne lui échappe. Ailleurs en Europe, c'est par la requalification des espaces, la piétonnisation, la limitation des accès, le développement et le soutien des modes alternatifs que les municipalités ont pu rendre leur centre villes aux habitants.

En France l'investissement par habitant dans les politiques cyclables est de 9 €/an quand il atteint 30 €/an dans les pays nordiques. C'est ce qui fait toute la différence des pratiques selon l'ADEME qui constate que : « le taux d'utilisateurs est directement lié au linéaire d'aménagements cyclables par habitants ». Un investissement minimum donc, pour un secteur qui rapporte déjà près de 30 milliards d'euros par an, répartis sur l’économie direct liée au vélo et les effets induits comme le tourisme, le commerce ou les bénéfices sanitaires. Une économie qui pourrait presque tripler en 10 ans pour peu qu'une politique volontariste soit appliquée.

Alors que la doctrine du tout voiture, initié à la fin des trente glorieuses est arrivée au bout de son cycle, minée par les crises successives, il est temps désormais de réfléchir à mettre en place de nouvelles alternatives, concrètes et responsables, de mobilités plus respectueuses des personnes et de l'environnement. Un enjeu moderne, vaste et ambitieux, qui mérite d'être abordé plus sérieusement que par la caricature et le mépris.

L'association Vélo dans la Ville

sources :

https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/pollution-le-diesel-cause-pres-de-la-moitie-des-deces-lies-aux-transports-994400#:~:text=Tr%C3%A8s%20concr%C3%A8tement,%20les%20transports%20sont,d'infarctus%20ou%20de%20diab%C3%A8te

https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-l-insecurite-routiere?field_theme_target_id=638

https://www.ademe.fr/expertises/mobilite-transports/passer-a-laction/dossier/alternatives-a-voiture-individuelle/report-modal

https://www.fub.fr/velo-ville/villes-qui-aiment-velo/villes-qui-aiment-velo-france-etranger#:~:text=Autant%20l'avouer%20:%20la%20France,Et%20en%20Allemagne,%2010%20%25

https://www.valeursactuelles.com/societe/la-dictature-a-velo-46444

https://www.ademe.fr/impact-economique-potentiel-developpement-usages-velo-france-2020